2021-10-01
Repousser le plus possible le moment du départ en maison de retraite, surtout dans un Ehpad-mouroir, et vivre de manière autonome en conservant de riches relations sociales sans peser sur ses enfants, tous les plus de 60 ans y réfléchissent. Et certains envisagent de recourir à la colocation, jusqu’ici plus en vogue chez les plus jeunes.
«Avec deux couples d’amis, à l’approche de la retraite et nos enfants étant installés dans la vie, nous avons envie de
vieillir ensemble, profiter de ce que nous sommes encore en pleine forme pour créer un habitat collectif où nous pourrons partager des moments mais aussi des moyens et des charges », explique Philippe Jacquier, galeriste à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Les résidences avec services pour seniors, trop commerciales et standardisées, ce n’est pas pour eux, ces baby-boomeurs qui ont parfois, dans leur jeunesse, vécu en communauté et en conservent un bon souvenir.
Christian Biclaud, 60 ans, enseignant, a publié sur le site écologiste Terra eco une annonce pour partager sa grande maison de 130 mètres carrés, avec jardin, située près de Montpellier et où il vit seul : « Pendant la crise
du Covid, j’ai vu que le lieu se prêtait bien à la cohabitation. J’ai eu une douzaine de réponses à mon annonce, dont la plupart de seniors. Il y a une demande…
Je réfléchis, en outre, avec un ami, à un projet déco-lieu pour seniors proposant beaucoup d’animations et d’activités culturelles.» «J’habiterais m Allemagne ou aux Pays-Bas, j’aurais tout de suite trouvé une colocation pour seniors, car ce mode d’habitat collectif y est beaucoup plus développé, mais là où je cherche, en Normandie, je me rends compte que c’est très difficile», regrette Andréane, Parisienne de 76 ans, dont les annonces sur le même site restent sans réponse.
Richard Elorbette est le fondateur de Locservice, plate-forme de mise en relation de candidats colocataires. II constate que «6 % des demandes émanent de retraités d’en moyenne 66 ans et 1611 euros par mois de revenu. Nurmotivation première est certes de réduire le budget logement, mais l’aspect social est très important, ils veulent rencontrer de nouvelles personnes et ne pas vivre seuls». «La génération qui, aujourd’hui, dépasse 60 ans et a été elle-même confrontée à la grande vieillesse de ses parents, veut anticiper la sienne », analyse Jacqueline Decultis, ancienne infirmière et directrice d’une société de services à domicile. Elle a fondé, en 2015, les Maisons Marguerite, de grandes et belles bâtisses, anciennes cures, hôtels ou maisons de maîtres, avec jardin, situées clans des bourgs ruraux. Il en existe déjà sept, bientôt dix, qui accueillent des colocations de huit ou neuf seniors d’en moyenne 87 ans, soutenus et aidés par trois salariés à demeure. «fai constaté que, dès qu’ils arrivent ici, après une période d’adaptation, ils vont mieux, assure Mme Decultis.
La clé, c’est une bonne maîtresse de maison qui aplanit les difficultés, les petits agacements quotidiens, car, bien sûr, il y en a, et surtout une bonne cuisinière, sachant, avec l’aide des habitants, leur concocter leurs plats préférés, avec les fruits et légumes du potager», confie-t-elle Les trois jeunes fondateurs de la société Cette Famille à la recherche, eux aussi, d’une alternative à l’EhpacI, suivent cet exemple : « Nous créons des colocations dune douzaine de personnes, dans des maisons anciennes, au prix accessible de 1100 euros par mois, mais pas dans les grandes villes où nous nous heurtons au coût exorbitant de l’immobilier», détaille Paul-Alexis Racine-Jourdren, son président Les deux premières réalisations ont ouvert à Argentan (Orne) et Sainte-Juliette (Tarn-et-Garonne).
Paulette Guinchard, ancienne secrétaire d’Etat aux personnes âgées de 2001 à 2002, dans le gouvernement socialiste de Lionel Jospin, initiatrice de l’allocation personnalisée autonomie pour les plus de 60 ans, avait, elle, créé, dans son département, le Doubs, la société des maisons Ages & Vie. Elle propose, dans des bâtiments neufs et de plain-pied, des colocations pour sept ou huit personnes dépendantes, accessibles dès 1600 euros par mois : « Les locataires sont chez eux, dans un studio de 30 mètres carrés meublé leur goût où ils peuvent accueillir un animal, et, très important, les repas sont faits maison», précise Julien Comparet, chargé de communication.
Actuellement d’une trentaine de sites concentrés en région Bourgogne-Franche-Comté, le nombre de maisons Ages & Vie devrait atteindre 300 dans toute la France, d’ici à fin 2023. La société a été rachetée, en 2018, par le groupe Korian, leader français des maisons de retraite, dont l’implication dans ce nouveau concept à taille beaucoup plus humaine marque sans doute un tournant dans l’approche de la grande vieillesse. Toutes ces structures sont victimes de leur succès et tiennent à jour une liste d’attente.
LE MONDE – 11 avril 2021